Le vent souffle entre les branches. Les fleurs de bougainvilliers dansent. Les feuilles sont ocres. Non pas parce qu’elles sont mortes mais parce qu’un voile de sable les recouvre. L’écho de l’appel à la prière est porté plus loin par l’Harmattan. Un coque chante, un mouton bêle et les oiseaux piaillent gaiement.
En cette saison fraîche, karité sur la peau et huile de coco dans les cheveux, je m’abandonne paisiblement à des heures de lecture.
Romans, discours, essai, des ouvrages brillants et inspirants, littérature d’Afrique et de la diaspora. Entre les pages, je m’évade parfois, je m’ancre souvent, traversée par les émotions et rêvant à des futurs différents.
Parmi ces lectures, en voici quelques unes, éditions récentes et éblouissantes.
La Saveur des derniers mètres | Felwine Sarr
Voyager c’est découvrir, et se (re)découvrir aussi. Dans ces notes intimes, Felwine Sarr nous emmène dans ses pérégrinations et partage, en observateur curieux, serein et bienveillant, ces petits riens du quotidien.
De Times Square à Kampala en passant par Mexico ou Cassis, chaque escale éveille les sens. Des saveurs, des odeurs, des paysages, des visages connus, des regards inconnus, des rythmes et des vibrations. À partir de ces instants présents, c’est le champ des possibles qui s’étend, les portes d’un imaginaire qui s’ouvrent, des manières d’habiter le monde qui se rêvent. Mais le voyage se fait aussi à travers le corps, mobile ou immobile. Courir, s’exercer, se dépasser, et s’arrêter. Pour réfléchir, digérer, prendre de recul, se surprendre à rêver.
Éloge au dépaysement et à la rencontre de l’autre, ce récit magnifique de Felwine Sarr est aussi un hommage à la famille ainsi qu’à Niodior la terre qui l’a vu grandir. Avec lucidité, subtilité et poésie, l’auteur et universitaire sénégalais nous incite au voyage intellectuel, intérieur et spirituel… Aller toujours plus loin pour revenir au lieu d’ancrage. Se confronter au monde, prendre le large puis savourer le retour à la matrice. Parfois retracer le chemin parcouru… et continuer le voyage.
La trouée est toujours d’imaginer. Il est possible de…
La Saveur des derniers mètres, Felwine Sarr
Éditions Philippe Rey – 2021
Invisible | Antonio Dikele Distefano
Une série de chapitres courts et efficaces. Comme une série de punchlines. Comme une série d’uppercuts que la vie flanque à Zéro.
Zéro c’est cet adolescent d’Italie, fils d’immigrés angolais, invisible aux yeux de ses parents, des passants et d’un pays où le droit du sol n’existe pas pour les mineurs. Invisible, à part aux yeux de sa sœur et de ses amis ivoiriens, sénégalais et bengali. Z c’est ce narrateur attachant, balloté du sud au nord de la botte, où il grandit bien trop vite et tente de s’en sortir, malgré les désillusions.
Dans cette fiction sans détours, Antonio Dikele Distefano nous plonge dans le réel et met en lumière les différences dans des quartiers où on voudrait nous faire croire que tout le monde est pareil. La justesse des mots, le rythme du phrasé et les anecdotes du quotidien, aussi incroyables que banales, nous emportent et nous font tourner les pages à la vitesse où Zéro file sur vélo.
‘Invisible’ est une ode à l’amitié, et, si l’écrivain italien préfère la véracité du rap aux chansons populaires à l’eau de rose de chez lui, c’est une histoire d’amour, aussi . Précarité, racisme, immigration, homophobie, malgré la violence du réel, ce récit initiatique nous arrache des sourires et nous donne une lueur d’optimisme, depuis le toit du monde.
« On ne peut pas patauger dans la boue sans se salir. »
Invisible (Non ho mai avuto la mia età), Antonio Dikele Distefano
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
Éditions Liana Levi – 2021
Notes Sur le chagrin | Chimamanda Ngozi Adichie
Dans ce texte court, l’autrice nigériane partage, et tente de comprendre pour elle même, ses pensées sur le deuil qui l’accable suite au décès de son père, James Nwoye Adichie, dans le contexte de la pandémie.
D’une grande honnêteté, à la fois tristes et réconfortantes car si universelles, ces notes apparaissent comme un exercice nécessaire et utile. Une belle lecture pour ceux et celles qui traversent cette douloureuse étape, mais aussi pour celles et ceux qui les entourent. Et pour tout un chacun. Parce que la mort fait partie de la vie, et si chacun vit le deuil différemment, nous y serons tous confrontés.
Parce que si dans de nombreuses cultures c’est un thème qu’on ne veut pas voir et qu’on repousse, émotionnellement et scientifiquement, c’est une issue inévitable, et le deuil une opportunité de rendre hommage à l’être cher.
C’est ce que fait Chimamanda Ngozi Adichie à travers ‘Notes sur le chagrin’. Parfois submergée par la solitude, la colère et la frustration, c’est avec admiration qu’elle parle de son père, du grand-père, du professeur, de l’homme. Les souvenirs se bousculent et à travers eux c’est aussi la famille, les coutumes, la culture et le Nigeria que l’on évoque.
L’amour transcende la douleur, la distance, l’impuissance. L’impuissance des mots que l’autrice manie pourtant si bien. Ces mots qui ne sauraient l’apaiser.
Notes sur le chagrin (Notes On Grief), Chimamanda Ngozi Adichie
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Mona de Pracontal
Éditions Gallimard – 2021
La Porte du voyage sans retour | David Diop
Une nouvelle fois, David Diop nous régale de sa plume dans ce récit de voyage inspiré de la vie du naturaliste français Michel Adanson.
Roman historique, riche hommage au Sénégal, La Porte du voyage sans retour nous plonge en 1750, alors que le jeune botaniste part en excursion pour découvrir et répertorier la faune et la flore dans la concession française du temps des lumières. Mais bien plus que des fleurs, c’est des femmes et des hommes qu’il y trouve et la violence d’un système esclavagiste.
De Saint-Louis à la porte du voyage sans retour, nom donné à l’île de Gorée, le jeune français part sur les traces de Maram. Maram, cette jeune femme destinée à l’esclavage dont les rumeurs disent qu’elle en serait revenue… Maram, cette figure fantasmagorique, point de mire d’un voyage secret au cours duquel Michel Adanson, accompagné d’un alter ego sénégalais, traverse villages, déserts et plages découvrant coutumes et lois des royaumes, se liant d’amitié et bousculant ses préjugés.
Tragique et passionnant, ce récit romanesque plein d’humanité et de justesse est aussi celui d’un lien intime entre père et fille, et une célébration de la nature. De plus, si l’histoire se déroule au XVIIIème siècle, l’auteur réussit à l’ancrer dans le présent, abordant des thèmes aussi actuels qu’urgents.
L’écriture de David Diop, alliée à son talent d’historien, sublime ce conte.
La Porte du voyage sans retour, David Diop
Éditions Seuil – 2021
Traces – Discours aux nations africaines | Felwine Sarr
Texte théâtral du penseur, économiste et musicien sénégalais Felwine Sarr, ce discours adressé à la jeunesse africaine a été présenté pour la première fois lors de l’inauguration du Musée des civilisations noires en décembre 2018 à Dakar, à la demande du Ministère de la Culture du Sénégal.
Lucide, incisif et porteur d’espoir, le narrateur, revenu sur sa terre après émigration et épopées autour du monde, retrace l’histoire du continent et invite les jeunes à imaginer des futurs différents, possibles et brillants. Apprendre du passé et s’ancrer dans le présent pour mieux s’approprier le futur. Dessiner des perspectives singulières, décolonisées et affranchies. Sans ambages, s’autoriser à rêver, élargir le champ des possibles.
Felwine Sarr porte un regard limpide, plein d’amour et sans artifice sur les réalités du continent et du monde. Une fois encore l’auteur s’attèle à la transmission, insuffle la fierté et encourage la confiance en soi, en l’humanité et en l’avenir.
Porté à la scène par le talentueux comédien burkinabé Étienne Minoungou accompagné par le chant du musicien Simon Winse, ce texte fort à la portée universelle est une lecture immanquable pour toute une génération, qu’elle se trouve d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée.
Traces – Discours aux nations africaines, Felwine Sarr
Éditions Actes Sud – Papiers – 2021
La Plus secrète mémoire des hommes | Mohamed Mbougar Sarr
En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ?
Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…
D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.
La Plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr
Éditions Philippe Rey – 2021
Femme Du ciel et des tempêtes | Wilfried N’Sondé
La sépulture d’une reine à la peau noire, qui dormait sous le permafrost depuis plus de dix mille ans, vient de se révéler à un chaman de la tribu des Nenets, dans la péninsule de Yamal. Les peuples de Sibérie auraient-ils des ancêtres venus d’Afrique ?
Décidé à utiliser sa découverte pour protéger un territoire naturel menacé par l’exploitation gazière, le chaman demande de l’aide à un scientifique français et ami, dans l’espoir que celui-ci saura mobiliser les écologistes du monde entier. Le zoologue organise une expédition rapide et discrète, et sollicite pour l’épauler deux jeunes gens aussi compétents qu’idéalistes : une docteure en médecine légale germano-japonaise et un anthropologue d’origine congolaise. Un mafieux russe et son homme de main, qui tiennent à leurs projets industriels, les attendent de pied ferme…
Dans ce roman d’aventures palpitant, Wilfried N’Sondé met son ardeur au service de thématiques nécessaires – le respect de la nature, l’harmonie de l’humain et du vivant – et inspirantes – le lien, le partage et la transmission entre les peuples, ainsi que la communication entre mondes visible et invisible.
Femme Du ciel et des tempêtes, Wilfried N’Sondé
Éditions Actes Sud – 2021